Le village de Bengy, situé près de l'embouchure du fleuve Mangoky, occupe une place centrale dans l'histoire et les pratiques rituelles des Sakalava du Menabe. Son emplacement stratégique en fait un point de passage clé pour le commerce et les migrations, contribuant à son rôle dans la consolidation du pouvoir sakalava. De plus, sa proximité avec le fleuve a facilité l'implantation de traditions spirituelles et rituelles associées aux ancêtres et aux forces naturelles. Le fleuve Mangoky, l'un des plus longs de Madagascar, joue un rôle essentiel en tant que voie de communication et source de subsistance, ce qui explique son importance dans l'organisation politique et spirituelle de la région. Ce lieu est le théâtre de rites fondateurs qui ont façonné l'identité et la structure du royaume, en mettant l'accent sur la relation sacrée entre le pouvoir royal, le territoire et les ancêtres.
Contexte historique et fondation du royaume du Menabe
Les Sakalava du Menabe trouvent leurs origines dans des migrations de groupes arabisés, notamment les Maroserana, qui ont progressivement étendu leur influence sur la côte ouest de Madagascar. Ces migrants, porteurs de savoirs politiques et religieux, ont établi des alliances avec les populations autochtones, consolidant ainsi leur pouvoir et leur territoire. Le village de Bengy est identifié comme l'un des sites clés où ces dynasties ont marqué leur emprise sur le territoire.
Le hazomanga-vy : symbole de la souveraineté
Un élément central des rites de fondation est l'érection du hazomanga-vy, un poteau sacré en fer, près de Bengy. Ce poteau symbolise la reconnaissance et la délimitation du territoire, affirmant ainsi la souveraineté du roi sur ces terres. L'installation du hazomanga-vy est accompagnée de rituels spécifiques, notamment le falitsé, exécuté par les ombiasy (devins-guérisseurs), qui renforcent le lien entre le pouvoir royal et le sacré.
Rituels de fondation et sacrifices
Les rites de fondation impliquent des sacrifices destinés à sanctifier le territoire. Ces sacrifices sont considérés comme essentiels dans la tradition Sakalava, car ils établissent un lien spirituel avec les ancêtres, renforcent le pouvoir du souverain et garantissent la prospérité du royaume. En versant le sang d'une victime choisie selon des critères précis, on insuffle une énergie vitale au territoire, assurant ainsi sa fertilité et sa protection contre les influences néfastes. Un enfant de la classe d'âge sakan-jaza (7 à 9 ans) est sacrifié au pied du hazomanga-vy, suivi de l'enterrement d'un bœuf rouge au même endroit. Ces sacrifices confèrent à la terre son statut sacré et sa personnalité, d'où le nom de Mena-be (de mena : rouge) attribué au nouveau territoire.

Les tombeaux royaux de Bengy
Outre ses rituels fondateurs, Bengy est également connu pour ses tombeaux royaux, qui témoignent de l'importance historique et spirituelle de ce lieu. Ces tombeaux, souvent richement ornés et entretenus par les descendants des lignées royales, sont des lieux de recueillement et de cérémonies. Ils jouent un rôle fondamental dans la perpétuité des traditions et le respect des ancêtres, garantissant la continuité du pouvoir symbolique des rois sakalava. Les habitants y organisent régulièrement des offrandes et des rituels pour honorer les souverains d'antan et solliciter leur protection. Parmi les souverains les plus importants enterrés à Bengy, on trouve Andriamandazoala et Andriamandresy, fondateurs du royaume sakalava, dont la mémoire est perpétuée à travers des rites et des célébrations spécifiques.
Adaptations contemporaines et transmission des traditions
Aujourd'hui encore, certains de ces rites perdurent sous des formes adaptées, influençant les pratiques culturelles et identitaires des populations locales. Par exemple, lors de cérémonies traditionnelles, des offrandes symboliques remplacent les sacrifices d'autrefois, et les consultations des ombiasy sont toujours sollicitées pour bénir des événements importants comme les mariages ou les intronisations de chefs locaux. Les récits transmis oralement jouent un rôle crucial dans la préservation de ces traditions, permettant aux nouvelles générations de perpétuer les pratiques ancestrales tout en les adaptant aux réalités contemporaines.
Conclusion
Le village de Bengy, loin d'être un simple point géographique, est un espace chargé de signification spirituelle et historique. Il incarne la naissance du royaume du Menabe à travers des rites fondateurs impliquant des sacrifices, des pratiques divinatoires et l'érection d'un poteau sacralisé. Ces rituels soulignent l'importance du lien entre le pouvoir royal, le territoire et les ancêtres, conférant ainsi à Bengy un statut de sanctuaire où se manifeste l'essence même de la souveraineté sakalava. L'existence des tombeaux royaux, lieux de mémoire et de vénération, perpétue cet héritage en renforçant le lien entre les vivants et les rois du passé.
Notes de bas de page
[1] Campbell, G. (2012). An Economic History of Imperial Madagascar, 1750–1895: The Rise and Fall of an Island Empire. Cambridge University Press.
[2] Deschamps, H. (1972). Histoire de Madagascar. Berger-Levrault.
[3] Kent, R. K. (1970). Early Kingdoms in Madagascar: 1500–1700. Holt, Rinehart and Winston.
[4] Raison-Jourde, F. (1983). Les souverains de Madagascar: histoire des dynasties du XVIe au XXe siècle. Karthala.
[5] Gueunier, N.-J. (1994). Sakalava: Culture et tradition orale. L'Harmattan.
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