Une bataille entre tradition et modernité

Pendant près d'un demi-siècle, un litige d'une ampleur exceptionnelle a opposé deux branches royales sakalava pour le contrôle des mitahy – ces reliquaires renfermant les restes sacrés des ancêtres souverains. Ce conflit, déclenché en 1957 à Mahajanga, une ville stratégique en raison de son importance historique et politique pour les royaumes sakalava, illustre la collision entre les logiques coutumières malgaches et l'appareil juridique moderne. Au fil des décennies, il a connu des rebondissements marqués par des incendies suspects, des disparitions de reliques et des manipulations politiques.

Cette bataille judiciaire et rituelle entre les Bemihisatra et les Bemazava révèle la puissance du hasina, cette énergie sacrée qui légitime le pouvoir royal. Alors que le droit moderne tente d'imposer ses règles, la résilience des traditions sakalava met en évidence la difficulté à dissocier la politique du spirituel.


Les racines historiques du conflit

Le pouvoir sacré des royaumes sakalava

Les royaumes sakalava du Menabe (au sud-ouest) et du Boina (au nord-ouest) ont développé, dès le XVIIIe siècle, un système politico-religieux articulé autour des reliques royales. Ces raha sarotra ("choses précieuses et dangereuses"), qui peuvent contenir des fragments osseux, des dents ou des cheveux des rois défunts, sont préservées dans des zomba, des reliquaires en bois précieux. Installées dans des enceintes sacrées appelées doany, ces reliques sont régulièrement manipulées lors du rituel annuel du fanompoana, une cérémonie où elles sont baignées afin de réactiver le hasina, une force vitale capable de bénir ou de détruire.

Une instrumentalisation coloniale

Avec la conquête de Mahajanga en 1895, l'administration coloniale française a tenté de contrôler ces objets de pouvoir. Elle oscille entre dérision et manipulation. En 1902, la restitution symbolique des reliquaires à la reine Mahabibo vise à affirmer l’hégémonie française sur les structures traditionnelles en divisant les lignages royaux. D'un côté, les autorités coloniales qualifient ces croyances de "superstitions archaïques", de l'autre, elles réalisent que leur maîtrise est stratégique pour le contrôle du territoire.


Une guerre royale : quand justice moderne et croyances anciennes s'affrontent

Le début du conflit (1957-1961)

Le décès de la princesse Horavaka (Bemazava) en 1957 rouvre une rivalité ancienne. Solondrazana, gardien du doany, est accusé de détournement et passe dans le camp Bemazava. En 1958, un tribunal colonial ordonne la restitution des clés du sanctuaire aux Bemihisatra, provoquant la colère des Bemazava. La situation dégénère en juillet 1958 lorsque le doany est incendié.

Cet incident marque le début d’une bataille judiciaire qui durera plusieurs décennies.

La disparition mystérieuse des reliques (1961-1971)

Après l’incendie, les mitahy disparaissent sans laisser de traces. Tandis que les Bemazava assurent qu’elles ont été détruites, des témoins Bemihisatra signalent leur présence chez certains notables. En 1967, une tentative de vol des reliques à Mitsinjo renforce les rumeurs. Solondrazana, principal suspect, est condamné à 30 mois de prison en 1964, avant d’être relaxé en 1970 faute de preuves matérielles.

Une politisation extrême sous Ratsiraka (1972-2025)

Avec l’arrivée de Didier Ratsiraka au pouvoir en 1975, le conflit prend une tournure politique. Son régime, qui prônait une idéologie socialiste et centralisatrice, cherche à renforcer le contrôle de l'État sur les structures traditionnelles. En 1979, dans un geste d’autorité, le doany Bemazava est rasé au bulldozer sous prétexte de modernisation et d’aménagement du territoire. Cette intervention musclée accentue les tensions et alimente le sentiment d’injustice parmi les partisans de la branche Bemazava.

Face à cette attaque, les Bemihisatra font construire un nouveau sanctuaire en béton en 1997, symbole d’une modernité controversée. En 1994, la Cour suprême statue en faveur des Bemazava, mais en 2025, les reliques sont toujours sous contrôle Bemihisatra.


Un tournant historique : La restitution des reliques royales en 2025

En janvier 2025, après plusieurs décennies de négociations et de demandes officielles de Madagascar, le gouvernement français a accepté la restitution des restes du roi Toera et de deux chefs de guerre sakalava conservés au Muséum National d’Histoire Naturelle. Cette restitution, encadrée par la loi française n° 2023-1251, marque une reconnaissance historique des torts du passé et une opportunité pour la réconciliation nationale.

Selon le Rapport final du Comité Scientifique Conjoint (janvier 2025), bien que l'identification ADN du crâne du roi Toera soit incertaine, la tradition orale et les preuves archivistiques suggèrent fortement son authenticité. Cette restitution s’inscrit dans une dynamique de réparation symbolique et de réhabilitation de la mémoire collective sakalava.


Conclusion : La Sacralité en Exemple de Réconciliation Durable

Ce conflit juridico-sacré illustre l’impossibilité pour l’État malgache de réglementer pleinement des croyances ancestrales profondément ancrées. Si les reliques ont été vidées de leur dimension juridique, elles conservent une puissance symbolique intacte. Le hasina, bien que transformé, demeure un vecteur fondamental de l’identité sakalava.

20220811 190726À l’avenir, des négociations plus inclusives entre les familles rivales, les autorités locales et les institutions culturelles pourraient offrir une solution durable. La sacralité a déjà montré l'exemple en termes de réconciliation. Pendant plusieurs décennies, les familles royales du Menabe et du Boina étaient en froid. Cependant, en juillet 2022, sous mon impulsion personnelle (Votre serviteur), le Prince Piero KAMAMY s'est rendu au Fanampohabe de Majunga, où il a été accueilli avec honneur et respect par Guy Herimisy, Mpanjaka be du Boina. Un mois plus tard, en août 2022, Guy Herimisy a rendu visite auprés du Roi du Menabe, Magloire KAMAMY Ce geste historique a marqué la fin d'un passé conflictuel, prouvant que le dialogue et la volonté de paix peuvent transcender les divisions.

Comme le souligne l’article L'importance de la réconciliation : une clé pour l'harmonie et le progrès publié sur Madagascar Découverte, un dialogue sincère et un respect mutuel sont indispensables pour reconstruire des liens brisés par des décennies de tensions. Inspirée par cette approche, la mise en place de commissions de vérité et de réconciliation pourrait permettre aux différentes factions de s’exprimer, de reconnaître les torts passés et d’œuvrer ensemble vers une paix durable.

📢 Et vous ? Avez-vous déjà assisté à un rituel du fanompoana ? Pensez-vous que les traditions doivent primer sur le droit moderne ? Partagez votre avis en commentaire !