Depuis quelques années, la question de la restitution des biens culturels africains par la France est devenue un sujet brûlant dans les relations internationales et culturelles, notamment en raison du retour d’objets emblématiques comme les trônes royaux du Bénin ou les manuscrits anciens du Mali. Parmi les pays concernés, Madagascar se distingue par ses revendications liées à des artefacts chargés d’histoire, souvent pillés ou acquis dans des contextes coloniaux discutables. En 2018, le rapport Savoy-Sarr, commandé par le président Emmanuel Macron, a ouvert une voie pour des restitutions possibles en recommandant le retour inconditionnel des objets acquis dans des contextes de pillage ou d’appropriation coloniale, ainsi que l’établissement d’un dialogue éthique entre les pays concernés. Mais où en est-on concrètement ? Quels sont les objets réclamés par Madagascar et quelles sont les étapes clés de ce processus complexe ?

Les objets malgaches concernés

Madagascar réclame plusieurs objets d’une grande valeur historique et culturelle, estimés à environ 500, dispersés dans différentes institutions françaises, particulièrement le Musée du quai Branly. Parmi les pièces les plus emblématiques :

  1. Le Trône de Ranavalona III : Ce siège royal, symbole du pouvoir monarchique malgache, a été emporté lors de l’annexion de Madagascar par la France en 1895.
  2. Les regalia royaux : Ces objets rituels incluent des couronnes, des sceptres et des ornements utilisés lors des cérémonies de couronnement.
  3. Les manuscrits et documents historiques : Certains d’entre eux contiennent des informations cruciales sur les pratiques administratives et religieuses du royaume Merina.
  4. Des artefacts rituels : Masques, statuettes et instruments de musique ayant une importance spirituelle profonde.
  5. Les crânes Sakalava : Ces restes humains, présumés appartenir au roi Sakalava Toera  et son bras droit, Vongovongo et en autre, ont été prélevés lors des expéditions coloniales. Leur importance pour le peuple Sakalava et Malagasy réside dans leur signification spirituelle et historique, comme l’explique l’historien malgache Jean-Pierre Domenichini : « Ces crânes représentent un lien vital avec les ancêtres et leur restitution contribuerait à restaurer l’harmonie culturelle du peuple Sakalava. » Ces objets ne sont pas de simples reliques : ils incarnent l’identité culturelle de Madagascar et son héritage précolonial.

L’état des discussions

Depuis la publication du rapport Savoy-Sarr, Madagascar a intensifié ses efforts pour récupérer ces biens. En 2020, une commission conjointe entre la France et Madagascar a été mise en place pour discuter des modalités de restitution. Voici les points clés :

  • Les premières avancées : En 2021, la France a restitué plusieurs objets à des pays africains comme le Bénin, renforçant l’espoir pour Madagascar.
  • Les discussions en cours : Madagascar met en avant le rôle éducatif et identitaire que jouerait le retour de ces objets dans le pays.
  • Les obstacles persistants : Certaines institutions françaises résistent encore, invoquant des questions de préservation et d’accessibilité mondiale des collections.

En parallèle, des organisations de la société civile malgache militent pour accélérer le processus et sensibiliser l’opinion publique sur cette cause. Parmi elles, l’Association Tsinjo Aina et le Collectif pour la Récupération du Patrimoine Malgache jouent un rôle majeur en organisant des campagnes de sensibilisation et des dialogues communautaires.

Les défis de la restitution

Malgré une volonté politique affichée, plusieurs défis compliquent la restitution des biens culturels malgaches. En priorité, les aspects juridiques posent un obstacle majeur : les lois françaises sur l’inaliénabilité des collections publiques rendent toute restitution complexe, nécessitant des aménagements législatifs. Suivent les défis logistiques, notamment le transport, la restauration et la préservation des objets retournés, qui exigent des infrastructures de haut niveau que Madagascar doit encore développer. Enfin, la coopération bilatérale et l’implication des populations locales demeurent essentielles pour une réappropriation réussie.

  1. Les aspects juridiques : Les lois françaises sur l’inaliénabilité des collections publiques rendent toute restitution complexe, nécessitant des aménagements législatifs.
  2. La logistique : Le transport, la restauration et la préservation des objets retournés exigent des infrastructures de haut niveau que Madagascar doit encore développer.
  3. La coopération bilatérale : Les négociations impliquent un dialogue permanent entre les deux pays, parfois ralenti par des divergences d’intérêts.
  4. Le rôle des populations locales : L’implication des communautés malgaches dans ce processus est cruciale pour assurer une réappropriation réussie.

Une perspective pour l’avenir

restitution des biens culturels africains

La restitution des biens culturels constitue une opportunité unique pour Madagascar de renforcer son identité nationale et de promouvoir son patrimoine auprès des nouvelles générations. Elle offre également une occasion pour la France de réaffirmer son engagement en faveur d’une collaboration culturelle éthique.

Une fois restitués, ces artefacts pourraient être exposés dans des musées modernes à Antananarivo ou ailleurs, devenant ainsi des vecteurs de fierté nationale et d’attraction touristique. Cependant, dans le cas particulier des crânes Sakalava, une présentation publique ne peut s’appliquer, car il s’agit de reliques familiales devant être restituées aux familles. Ces crânes revêtent une importance spirituelle majeure pour les descendants, parce qu'ils incarnent le lien direct avec les ancêtres et le respect des traditions funéraires. Leur retour permettrait aux familles de réaliser les rites appropriés et de rétablir l’harmonie culturelle et spirituelle dans leurs communautés. En tant que biens royaux, ils ne peuvent pas être exposés au public. Par exemple, le retour des bronzes du Bénin a permis au Nigeria d’inaugurer un nouveau musée en 2022, attirant des milliers de visiteurs et stimulant l’intérêt pour l’histoire locale. Madagascar pourrait suivre une voie similaire en créant des expositions interactives pour mettre en valeur son patrimoine unique. Mais au-delà des objets eux-mêmes, c’est un acte de justice historique qui est attendu, un pas vers la reconnaissance des torts passés et la construction d’une relation franco-malgache apaisée. Par exemple, le retour des bronzes du Bénin au Nigeria a permis de renforcer les relations bilatérales et de promouvoir une meilleure compréhension mutuelle entre les peuples. De même, le rapatriement d’objets sacrés aux États-Unis vers les tribus amérindiennes a joué un rôle crucial dans la réconciliation culturelle. Ces exemples illustrent l’impact transformateur que peut avoir la restitution sur les relations entre les nations.

Conclusion

La restitution des biens culturels africains par la France, et spécifiquement des artefacts malgaches, est un processus complexe, mais nécessaire. En récupérant ces éléments de son patrimoine, Madagascar pourrait renouer avec une partie essentielle de son histoire et renforcer son identité culturelle. La question reste ouverte : cette dynamique aboutira-t-elle à une véritable réconciliation historique ?


Le Roi Toera : Histoire, Mémoire et Lutte pour la Restitution d’un Héritage Sakalava et Malagasy


Notes explicatives :

  1. Trône de Ranavalona III : Objet symbolisant la souveraineté du dernier monarque de Madagascar.
  2. Regalia royaux : Ensemble d'objets rituels utilisés pour marquer le pouvoir royal.
  3. Rapport Savoy-Sarr : Étude commandée par Emmanuel Macron sur la restitution des biens culturels africains.
  4. Crânes Sakalava : Reliques familiales ayant une importance spirituelle et culturelle unique.
  5. Musée du quai Branly : Institution française abritant une grande partie des artefacts réclamés.
  6. Exemple du Bénin : Retour des bronzes ayant stimulé le tourisme culturel au Nigeria.
  7. Rites funéraires Sakalava : Pratiques ancestrales qui renforcent les liens avec les ancêtres.
  8. Collectif pour la Récupération du Patrimoine Malgache : Organisation clé dans la sensibilisation au retour des artefacts.
  9. Inaliénabilité des collections : Principe juridique français rendant complexe la restitution.
  10. Antananarivo : Capitale de Madagascar, envisagée comme lieu clé pour exposer ces objets.